Éclairages apportés par des chefs de file issus de quatre régions


« En 2022, 274 millions de personnes auront besoin d’une assistance et d’une protection humanitaires — une augmentation significative par rapport aux 235 millions de personnes l’année précédente, qui était déjà le chiffre le plus élevé depuis des décennies ».

Marqué par la pandémie, les conflits prolongés, les conséquences de la crise climatique, les inégalités et la polarisation croissantes, l’intensification de la violence fondée sur le genre et la forte dégradation de la santé mentale, le tableau de la situation mondiale est sombre. En outre, la crise en Ukraine constitue un facteur supplémentaire d’incertitude, de complexité et de souffrance profonde, et entraînera des répercussions à l’échelle mondiale.


Quels changements devons-nous envisager dès maintenant afin de mener des interventions humanitaires durables et efficaces à l’avenir ?


L’Académie Solférino et le président de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Fédération internationale), M. Francesco Rocca, ont invité quatre chefs de file issus de différentes régions géographiques afin de débattre de l’avenir du secteur humanitaire. Des hauts dirigeants de 83 Sociétés nationales ont participé à cet événement. Le présent article vise à partager les points de vue évoqués dans le cadre de la réunion et à réfléchir aux questions soulevées par les intervenants.



Dans sa déclaration d’ouverture, M. Francesco Rocca a insisté sur la nécessité de transformer le système réactif actuel en un système axé sur l’anticipation, la préparation, l’adaptation et l’intervention précoce. Le réseau de la Fédération internationale doit créer de nouvelles possibilités et de nouveaux espaces qui permettront de trouver des solutions audacieuses et véritablement innovantes, tout en restant profondément enraciné au niveau local.

Le président Rocca a également souligné que la localisation de l’aide est l’avenir du secteur humanitaire. Nous devons décentraliser l’aide et nous interroger sur les conséquences de l’impérialisme humanitaire des organisations internationales sur notre Mouvement.

Mais comment pouvons-nous mieux anticiper, nous adapter plus rapidement et promouvoir de nouvelles méthodes de travail, mais aussi favoriser l’apprentissage et l’innovation, apprendre de nos échecs et faire en sorte d’évoluer en permanence ?

Selon la secrétaire générale du Croissant-Rouge du Koweït, Mme Maha Barjas, face à ce que nous réserve l’avenir et aux besoins humanitaires croissants dans la région arabe, il est nécessaire de renouveler constamment nos services humanitaires afin de garantir la pertinence et l’efficacité de nos interventions. Elle a insisté sur la nécessité d’adapter rapidement nos activités à l’évolution des besoins et du contexte.

Mme Barjas a en outre souligné que nous devions rechercher en permanence des sources de financement novatrices et nouer de nouveaux partenariats en vue d’améliorer nos capacités d’anticiper divers scénarios. Nous devons veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte et prévoir des mesures inclusives qui bénéficieront en particulier aux populations les plus vulnérables.

Mme Fatou Wurie, une militante pour la justice sociale en Sierra Leone, a évoqué la nécessité de revoir la manière dont s’articulent les sept Principes fondamentaux et les droits humains. Nous devons impérativement fonder l’action humanitaire sur l’équité et veiller à ce que les populations touchées soient traitées de manière équitable.

Mme Wurie nous a rappelé que l’intervention humanitaire doit placer les communautés locales au cœur du processus décisionnel et de l’élaboration et de la mise en œuvre des programmes. Pour y parvenir, les organisations humanitaires, y compris le réseau de la Fédération internationale, doivent se partager le pouvoir.

Il nous faut adopter une perspective féministe et antiraciste afin de mener des conversations inclusives et d’assumer notre responsabilité à l’égard des populations touchées. Mme Wurie a souligné que nous devions commencer par nous interroger sur les déséquilibres de pouvoir au sein du système, non seulement ceux liés à l’origine ethnique, mais également au statut économique, au genre, à l’identité de genre, à la situation migratoire et à d’autres facteurs.

M. Zhang Qiang, professeur à l’Académie internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en Chine, a évoqué la nécessité d’améliorer notre façon de faire face aux situations complexes, croisées et incertaines, tout en nous préparant à l’avenir.

Selon le professeur Zhang, nous devons redoubler d’efforts pour veiller à ce que notre organisation apprenne en permanence. Il nous faut améliorer nos méthodes d’évaluation de l’impact social et créer une culture favorisant l’innovation sociale ainsi que le recours aux outils numériques. Les acteurs humanitaires doivent systématiquement tenir compte des risques climatiques dans l’ensemble de leurs analyses et interventions.

La coopération internationale et transnationale nous offrira de nouvelles occasions de renforcer nos capacités et de mettre à profit nos connaissances. Le professeur Zhang a également souligné qu’en repensant le lien entre l’action humanitaire et le développement, les différents acteurs découvriront de nouvelles manières de relever les défis mondiaux et d’assumer leurs responsabilités.



La nécessité de faire de la confiance une priorité et de la renforcer dès à présent au sein de notre organisation est apparue comme le fil conducteur de la discussion. Dans un monde où les fausses informations circulent facilement, nous devons trouver un moyen de couper court aux rumeurs. À l’avenir, il faudra encourager les personnes à s’impliquer davantage dans des débats constructifs et des actions concrètes.

Grâce aux contributions des chefs de file au cours de la réunion, nous sommes parvenus aux conclusions suivantes. Nous devons :

Partager le pouvoir : les dirigeants doivent s’engager à créer des espaces où les membres du personnel et les volontaires peuvent affirmer leur leadership, prendre des décisions, agir et assumer des responsabilités. Il faudra en outre investir dans la capacité des équipes de diriger et d’encourager le changement. Nous devrons également partager les enseignements tirés et les idées en faisant preuve de générosité.

Promouvoir une culture de l’apprentissage :nous devons créer un environnement stimulant axé sur l’apprentissage et le partage d’idées et de compétences, mais également accepter les échecs et encourager les équipes à explorer sans cesse de nouvelles méthodes de travail.

Favoriser l’engagement constructif : nous devons faire de nos activités de communication et de partage d’informations une véritable stratégie afin de mobiliser diverses parties prenantes, et ainsi engager des conversations visant à remédier à la polarisation et à instaurer un climat de confiance au sein de nos sociétés.

Faire preuve d’innovation : dans une démarche d’innovation, il faudra mettre en place un environnement favorisant la création de prototypes et encourager les équipes à éprouver et à concrétiser leurs idées novatrices. Nous devrons veiller à ce que ce processus s’inscrive dans la durée.

Élaborer des scénarios : avant de prendre toute décision stratégique majeure, nous devons prendre l’habitude de prévoir plusieurs scénarios sur des situations données afin de nous assurer que les décisions tiennent compte des possibilités et risques divers que peut nous réserver l’avenir et qu’elles sont suffisamment flexibles pour être adaptées aux différentes versions du futur.

Encourager l’équité : nous devons veiller à ce que les interventions humanitaires soient menées par les communautés et à ce qu’elles tiennent compte de la nature complexe des dimensions personnelles, politiques et sociales qui se croisent et influencent nos expériences. Nous devrons faire en sorte que les populations les plus vulnérables aient accès à des plateformes leur permettant d’affirmer leur leadership, de créer et de prendre des décisions.

Faire face aux situations complexes : il faudra s’interroger sur la linéarité, la planification et le suivi de nos activités, mais aussi investir afin d’apprendre à réagir et à orienter nos efforts face à l’incertitude, à analyser l’interdépendance des principaux défis que nous entendons relever et ce que cela implique pour notre organisation.

N’hésitez pas à partager avec nous les mesures que vous estimez nécessaires afin de garantir la pertinence et l’efficacité du réseau de la Fédération internationale à l’avenir.

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Senior Advisor Leadership & Transformation at Solferino Academy at the International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies - IFRC